Le 4 octobre, La Fondation Nicolas Hulot organisait un débat sur l’énergie à la Cité des Sciences avec la participation de François Chérèque (CFDT), Vincent Mages (MEDEF), François Loos (ADEME), Pierre Ducret (CDC Climat), André Broto, Directeur Général Adjoint de Cofiroute, Fabrice Bonnifet, Directeur du Développement Durable du groupe Bouygues, Michel Derdevet, Maître de Conférences à l’IEP de Paris, Raphaël Claustre, Directeur du CLER.
Au cours de 2 tables rondes animées par Benoît Faraco, porte-parole de FHN, ces représentants du monde économique, social et associatif ont échangé leur point de vue sur les propositions de la Fondation Nicolas Hulot et sur les futurs chantiers de la transition énergétique. La bonne surprise, c’est que l’on n’attendait pas autant de motivation de la part de certains.
Créativité et Intelligence
En introduction, Nicolas Hulot rappelle que la transition énergétique est « un virage historique », et qu’il veut « faire émerger un débat apaisé et documenté ». Il ne cache pas certaines difficultés « j’ai un peu le sentiment que l’on est pris en étau entre deux inacceptables », d’une part « la crise climatique, qui a un peu disparu des écrans radars de la société », éclipsée par la crise économique, et d’autre part, « le risque de défaillance de notre mémoire collective », car on préfère rejeter certains évènements hors de notre champ de vision (Fukushima, en l’occurrence, dont le désastre est toujours en cours). Nicolas Hulot met en garde contre deux tentations « exploiter par toutes sortes de moyens toutes les énergies fossiles » ou se raccrocher au nucléaire avec l’argument qu’il a « probablement tué moins de personnes que les énergies fossiles », ce qui impliquerait de créer une centrale tous les jours pendant 30 ans… « Il faut définir ensemble les priorités absolues et c’est la raison de ce débat », ajoute-t-il. « Je ne mets pas l’austérité et la rigueur sur le même niveau. Il faut compenser les mesures d’austérité par des investissements de transition (…) faire des choix et flécher nos investissements. Je plaide pour une banque et des fonds dédiés » a-t-il précisé. « Un chemin de transition s’ouvre à nous », mais il n’y a pas actuellement « de vision aboutie du modèle énergétique de demain », il faut mobiliser « de la créativité et de l’intelligence ».
Quelques réflexions des participants :
Alain Granjean (membre du Conseil Scientifique de la FNH –Fondation Nicolas Hulot -) :
« La tendance ‘business as usual’ va détruire la biodiversité (…) La question du nucléaire est une question du débat. Est-on prêt à accepter des accidents ? »
Vincent Mages (MEDEF) :
« Le premier choc pétrolier a déjà créé des éléments de modifications. Aujourd’hui, il y a une évolution /révolution du mix mondial. Fukushima, les pétroles et gaz non conventionnels changent un peu la donne. Le sujet change de nature, d’ampleur, les écarts entre les différentes solutions énergétiques s’amplifient… »
François Chérèque (CFDT) :
« Il faut voir les choses du point de vue moral. Si les 7 milliards d’habitants de la planète veulent vivre avec nos standards, et par exemple s’ils demandent d’augmenter la climatisation comme dans cette salle, ce ne sera pas possible pour tout le monde… Cette crise financière, c’est aussi une crise économique et une crise écologique. C’est en Europe que nous aurons les réponses. Il faut commencer à réfléchir aux questions de demain. Par exemple, pour la sidérurgie : Est-ce que l’on a besoin d’acier et comment le faire plus propre ? Ou est-ce que l’on a une solution pour s’en passer ? »
Pierre Ducret, Président de CDC Climat (filiale de la Caisse des Dépôts dédiée à la transition énergétique et écologique de l’économie), au sujet des financements :
« On a dopé le monde financier à des espérances de rentabilité élevée. Il y a un effet d’éviction pour les investissements aux rentabilités plus modestes. Actuellement, les projets avec des rentabilités à un horizon de plus de 3 ans ne trouvent pas à se financer. Pour un investissement d’efficacité énergétique comme la rénovation d’une maison individuelle, estimé à 20 000 €, avec un gain économique de 800 à 900 € par an, la rentabilisation est à horizon très lointain (…) Ce qui est prioritaire, le chantier où il faut concentrer des investissements publics, c’est celui de la précarité énergétique (…) Il faut un circuit de financement spécialisé. Les circuits actuels ne financeront pas la transition énergétique ».
François Chérèque à propos de la fermeture de Fessenheim :
« Dans le document (la feuille de route sur la transition énergétique), le mot transition professionnelle n’était pas écrit, j’ai demandé qu’il le soit et on a rajouté une demi-ligne (…). Si on veut faire de la fermeture de Fessenheim un élément exemplaire, il faut expliquer aux gens la transition professionnelle. Les salariés et les sous-traitants ont besoin de savoir ce qu’il va se passer, qu’il y a derrière de vrais métiers qualifiés, productifs qui ont un sens. Il y a un exemple de reconversion dans le photovoltaïque. Quand on a annoncé à l’usine Bosch de Vénissieux la fermeture de l’unité qui fabriquait des pompes à gasoil, on a montré que le site pouvait être productif sur un autre produit d'avenir, on a démontré aux salariés qu’ils étaient capable de travailler sur autre chose. »
A la 2ème table ronde, André Broto, Directeur Général Adjoint de Cofiroute, défend le co-voiturage:
«88% des personnes n’ont que la route pour se déplacer. Ils la subissent, ce sont des captifs de la voiture. Il faut traiter la mobilité telle qu’elle est. Il y a 30000 km de routes en France et 30000 km de voies ferrées. Il faut mieux connecter la route et le fer et il faut transporter mieux (…) Dans les trajets domicile /travail, le taux d’occupation est de 1,1 personne par véhicule, si on augmente le taux de 10%, on fait déjà la moitié de l’objectif (de réduction des émissions de GES). En région parisienne, l’usage de la voiture monte à 70% pour les déplacements domicile/travail, contre 50% à Madrid où beaucoup de ces trajets sont assurés par des autobus ayant accès à des voies express sur l’autoroute (…) Il faut donner un signal, un avantage aux co-voitureurs».
Fabrice Bonnifet, Directeur du DD de Bouygues, a mis le cap sur le Bepos :
« Il faut changer de regard. Quand on a fixé le seuil de 50 kwh/m2/an, on a dit, on n’y arrivera pas, et finalement, on y arrive. Pour le Bepos (bâtiment à énergie positive), on a dit que ça coûtera 20% plus cher, et finalement on arrive à trouver des solutions moins chères et on le fera bien avant l’échéance de 2020. Certains pays comme l’Allemagne et les pays du Nord ont de l’avance. Ils font depuis longtemps de l’isolation par l’extérieur. En France, on ne pouvait pas le faire. Heureusement, on a changé ça, on va pouvoir le faire, ce n’est pas très compliqué (…) Au-delà des finances, il faut aussi des compétences et on manque de gens formés (…) Il faut faire prendre conscience à chaque utilisateur de ce qu’il consomme. On est déjà en mesure de proposer des solutions de monitoring du logement. Dans les bâtiments tertiaires, il y a des notions de bureau partagé, de flex office, de village commun à développer, on n’a plus besoin d’un bureau par personne ».
Raphaël Claustre, Directeur du CLER (Comité de Liaison des Energies Renouvelables) a rencontré peu d’opposants aux éoliennes à l’échelle locale :
« La rénovation thermique doit se faire de façon ambitieuse. Il faut aller plus loin que le facteur 4 dans le bâtiment. Il y a actuellement des projets à 30%, 40% qui nous inquiètent (…) Il faut donner des compétences aux territoires. Il y a de plus en plus d’exemples en France comme celui de Montdidier. La commune, par le biais de sa régie d’électricité locale, a lancé une politique d’énergies renouvelables, d’efficacité énergétique et de lutte contre la précarité énergétique. Les revenus investis dans l’éolien profitent à tout le monde».
Dans la salle, un intervenant a rappelé l’existence d’Energie Partagée, un outil de financement de projets ENR locaux, et quelqu’un s’est étonné : "Mais s’il y a autant d’enthousiasme pour la transition énergétique et déjà des solutions, qu’est-ce qui bloque ? "
Les 5 principes clés et les 4 chantiers prioritaires de la FNH pour la transition énergétique
Les 5 principes :
Réduire les émissions françaises de gaz à effet de serre pour faire face à nos engagements européens.
Engager enfin une vraie politique de maîtrise de la demande énergétique.
Développer un modèle énergétique résilient et décarboné notamment en soutenant les ENR.
Satisfaire les besoins énergétiques essentiels de tous, en luttant contre la précarité énergétique.
Encourager un savoir-faire français et européen.
Les 4 chantiers prioritaires:
Réformer la gouvernance de l’énergie
Promouvoir la fiscalité écologique
Investir en priorité pour la transition avec des financements innovants
Faire progresser les normes et règlements notamment pour l’efficacité énergétique.
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